Moi, redoublante
L’année dernière, les choses ont changé. A partir de deux matières redoublées, les étudiants de Pré-Master ne pourront plus passer en M1, alors que le niveau de tolérance était bien plus élevé dans le passé. Plus que ce changement des règles du jeu, ce qui pose problème, c’est l’annonce plus que tardive de cette modification dont une vingtaine d’élèves fait les frais. Retour sur cet épisode qui a créé un important tumulte au sein de l’école en juin 2015.
Remise en contexte
L’ESCP est un monde merveilleux. Il m’a ouvert ses portes il y a de ça une année, une année regorgeant de souvenirs mémorables (si tu as remarqué cette subtile tautologie, tu ne fais sûrement pas partie des redoublants, ou alors tu ne mérites pas de te trouver parmi eux). Je suis arrivée le 31 août 2014, pleine d’espoir, de vitalité, de détermination, mais sans réel plan de carrière, ce dont on ne me tiendra pas rigueur dans un monde où l’épanouissement personnel est synonyme de travail-passion, mais aussi d’activités diverses et variées quasiment imposées. Sans plan de carrière donc, et sans vraiment savoir ce que je faisais là, je me retrouve entourée de personnes plus ou moins dans le même cas –on est heureux de figurer parmi les élus de l’institution. Je rentre donc par la grande porte, celle du concours réussi ; mes années de classe préparatoire n’ont pas été synonymes de discipline stricte et de travail acharné, je ne ressens donc pas le besoin impérieux de lâcher prise et de faire n’importe quoi. Et pourtant. Plusieurs choses se passent lorsque l’on débarque après avoir réussi l’épreuve ultime (pas seulement à l’ESCP, mais dans toute grande école de commerce) : D’une part, on doit apprendre d’une façon complètement différente de celle à laquelle on a été habituée jusque-là car les matières que l’on nous enseigne sont d’une tout autre nature –bien que je parle ici en position de littéraire, ces derniers ne sont pas nombreux parmi les redoublants, ce n’est donc pas une généralisation sur les pauvres petits khâgneux-. D’autre part, le foisonnement d’activités extrascolaires, combiné à notre possible manque de jugement quant au temps que nous nous apprêtons à leur accorder, est susceptible de nous lancer dans le mauvais chemin, celui de la Faxe.
Enfin, dernier point et non des moindres, l’environnement propice à la fête permanente n’est que le doigt qui pousse l’inconstant sur la pente du « je le ferai plus tard ». Je ne cherche pas ici des excuses à mon échec, mais ces composantes d’une vie en apparence idyllique –apprentissages nouveaux, vie extrascolaire riche et célébration quotidienne- peuvent troubler un esprit qui ne sait pas encore très bien comment se comporter. Si vous avez eu la chance de pouvoir mener la grande vie tout en passant en M1, je ne peux que vous féliciter ; mais la raison d’existence de cet article n’est pas l’inégalité de QI ou la capacité à cloisonner études / vie privée des élèves de l’ESCP.
Du manque de fair-play, ou comment la quenelle fut glissée
Résumons donc la situation, qui pour un non-initié reste floue après cette douce introduction : depuis toujours, l’année de pré-master est une année riche en expériences, en rencontres, en fêtes en tout genre, et un minimum de travail suffit à passer à l’année suivante tout en ayant profité au maximum de ce que l’école avait à nous offrir. Là n’est pas mon discours, mais bien le discours ambiant qui plane dans l’air et dans la bouche des élèves ayant réussi leur pré-master. Là est la raison : jusqu’ici, si un élève de pré-master échouait dans quelques matières, il pouvait tout de même passer à l’année suivante, tout en repassant les matières ratées en même temps que son M1. Les redoublants étaient seulement ceux qui, pour des raisons précises, avaient échoué quasiment partout et se voyaient obligés de repasser la quasi-totalité de leurs matières –impossible à réaliser en même temps qu’un M1, compréhensible donc. Or, à partir de cette année, l’administration a décidé qu’il en serait autrement : si j’échoue dans 2 matières, je redouble. Encore plus fort : les langues et les sciences humaines ne comptent pas. Je peux donc rater Sciences Humaines et anglais, je passerai tout de même en M1 ; en revanche si j’échoue en statistiques et en comptabilité, je ne passe pas. Jolie hiérarchisation des compétences, mais là n’est pas là question, et il appartient à chacun de penser ce qu’il veut d’une telle sous-évaluation de certains savoirs par rapport à d’autres.
Le problème reste que la règle a changé, d’un coup, sans que l’on ne soit prévenus ; certes les termes du contrat stipulent que l’échec dans des matières empêche l’élève de passer au niveau supérieur, mais il était de notoriété publique que la réalité était toute autre –et d’ailleurs, qui lit le contrat de A à Z ? A l’avenir, j’y réfléchirai à deux fois. L’élève qui débarque fraîchement à l’ESCP se réfère bien plus promptement aux règles empiriques établies depuis des années et au discours de leurs camarades plus vieux, qu’à 5 lignes dans un contrat signé par leurs parents. Et ils ne sont pas les seuls, il en est ainsi depuis l’Odyssée ; la tradition orale fait office de passation des savoirs et de vérité commune depuis la nuit des temps.
“Triste adolescence, cherche la maille dans tous les sens”
Je vais donc passer une année ponctuée d’un stage de 6 mois et de quelques cours par ci par là, parce qu’il est hors de question que je passe une année à suivre 1 cours au S1 et 2 cours au S2 ; la plupart des redoublants aussi. Ce n’est pas très grave vous me direz, il y a pire. Certes, mais si l’on couple cela à une nouvelle réforme de l’administration qui stipule que l’on ne peut valider plus de 40 semaines de stage en France sur toute la durée de notre scolarité, ça commence à faire beaucoup. Les stages que l’on peut trouver sont bien meilleurs en césure, après au moins deux années d’école ; toutes les entreprises prestigieuses n’apprécient pas forcément un élève en situation d’échec, et tout le monde le sait –l’administration de l’école le sait aussi bien que le redoublant qui voit le sourire de son interlocuteur changer en entretien, quand ce dernier entend la réponse à sa question « vous êtes ici pour votre césure ? » Ben non. Ajoutez à cela les réponses contradictoires de l’administration à des questions comme « sommes nous obligés d’assister aux cours cette année ? » -il semble en effet compliqué d’effectuer un stage complet si l’on est obligés de s’absenter 2, 3 voire 4 demi-journées par semaine- et vous obtenez l’état d’esprit tendu dans lequel les redoublants ont passé ces trois derniers mois. D’autant plus que l’administration nous avait aussi conseillé d’effectuer un stage à l’étranger. Lorsque l’on vous annonce que vous ne pouvez pas passer en master parce que vous avez raté deux matières tandis que d’autres passent dans la même situation parce que l’une des deux matières s’avèrent être « moins importante » (excusez-moi de ne n’avoir aucunement l’ambition de faire carrière dans les statistiques), puis que l’on vous dit de profiter de cette année en suspens pour réaliser une césure en avance, puis ensuite que vous êtes obligé d’assister aux cours, il devient difficile de contenir son énervement et son impatience.
Pour une communication plus transparente
Aujourd’hui j’ai commencé un stage de 6 mois tandis que mes camarades ont repris les cours. Ce n’est certes pas dramatique, mais cela veut dire casser une routine dans laquelle il était possible de trouver des repères avec les gens avec qui l’on s’est liés tout au long de l’année ; cela veut dire annoncer aux entreprises que l’on vise actuellement et dans le futur pourquoi notre cursus a été étendu ; cela veut dire ne pas passer de semestre à l’étranger en M1 avec ses amis, un point crucial du cursus ESCP pour lequel j’ai délaissé l’ESSEC –et je ne suis pas la seule dans ce cas-. J’aime bien sûr toujours cette école et ne regrette pas le choix que j’ai fait, mais l’annonce du changement de traitement des échecs dans certaines matières a été faite trop tardivement, brusquement et avec un suivi douteux derrière. Les élèves concernés, une vingtaine au sein de la promotion, ont eu et ont toujours des difficultés à trouver pour cette année une occupation cohérente avec leurs souhaits d’avenir. L’un d’entre nous se voit mis sur la sellette à cause de sa condition de redoublant, pour un stage qu’il aurait aimé avoir et qu’il aurait sans aucun doute eu en réelle césure sans cette étiquette « échec » ; je ne vois pas vraiment cela comme un échec mais certaines entreprises, si. Pour une école qui veut remonter dans les classements, lorsque l’on sait que l’embauche à la sortie est l’un des critères de ce fameux classement, cela ne semble pas être la meilleure des stratégies. Elle l’est peut-être sur le long terme, me direz-vous ; dans ce cas il fallait l’annoncer de manière extrêmement claire au cours de l’année, pas pendant les révisions de rattrapage à la fin ; il aurait aussi fallu régler rapidement le problème de la convention de stage sur l’intranet –on ne peut pas en obtenir facilement car nos stages sont considérés comme étant « sur une période de cours »-, qui a posé problème à certains commençant leur stage début septembre. En somme, voyez ici non pas l’aigreur d’une vingtaine d’énarques ayant lamentablement échoué, mais plutôt l’incompréhension de ces quelques pas plus foncièrement mauvais que les autres, qui se sont retrouvés au mauvais endroit au mauvais moment sans réels égards, en plein tournant administratif et qui, sans être les plus malheureux de la terre -n’exagérons rien-, en paient tout de même le prix.