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17 septembre 2021

Interview Frank Dufour, alumni de l’ESCP, consultant indépendant et “business angel”

Frank Dufour nous a dévoilé un bout de sa carrière, sa vision des métiers de la finance et de précieux conseils. 

Découvrez l’interview d’un ancien élève de l’ESCP ayant exercé des fonctions financières chez Ipsos, SFR, RTL, Etrali, et d’autres encore…

Introduction

Vous avez été diplômé du Master in Management de l’ESCP en 1995, quel a été votre parcours depuis ?

Je fais partie d’une des dernières promotions à avoir fait le service militaire. Ensuite, j’ai fait quasiment toute ma carrière en direction financière. Je suis passé par beaucoup d’entreprises (SFR, Ipsos, RTL, Atos, Consort NT, Etrali…). J’ai été contrôleur de gestion, puis directeur du contrôle de gestion puis directeur financier. Une particularité, les deux dernières sociétés que j’ai dirigées étaient en LBO.

Qu’est-ce que le LBO (Leveraged Buy-Out) ? Pour vous donner une définition simple, c’est lorsqu’une opération de rachat de société se fait avec un effet de dette (le « levier ») qui permet de maximiser la plus-value à terme.

Le LBO est un environnement un peu plus stressant et « tonique » puisqu’il y a pas mal d’argent à la clé en investissement et en plus-value potentielle.

Je suis ensuite devenu indépendant.

Quels ont été les choix décisifs dans votre carrière dont vous êtes satisfait et, au contraire en avez-vous que vous regrettez ?

Il y a des périodes qui ont été excessivement compliqués dans ma carrière mais rétrospectivement je n’y changerais rien. Ce sont ces difficultés qui m’ont donné l’assise, la stabilité et les compétences pour gérer les situations de crises.

Par exemple dans le cas d’Etrali, le contexte était excessivement difficile. C’était une sorte de spin-off de France Telecom, une société de techno française avec une mentalité France Telecom rachetée par un fonds d’investissement américain et à transformer de fond en comble. J’avais sous-estimé la difficulté de cette mission et le choc des cultures mais cela m’a appris énormément de choses.

*Un spin-off : scission entre une société mère et une de ses filiales

Votre activité : Business Angel/Consultant indépendant

Qu’est-ce qui vous a amené à être un Business Angel ?

Définition du Business Angel made in Frank Dufour : investir dans des boîtes pour les accompagner au-delà du seul aspect financier.

Je ne me sentais pas destiné à être « banquier » : je n’avais pas vocation à prêter de l’argent à des sociétés pour qu’elles me le rendent plus tard avec « juste » une plus-value financière. La dimension qui m’intéressait, c’était la création de valeur au sens large, pas que financière. C’est ce que j’ai commencé à faire en participant à plusieurs boards et en ayant une présence active au sein de mes investissements. Au fur et à mesure différentes sociétés dans lesquelles j’ai investi m’ont demandé de les accompagner de façon plus formelle, en tant que directeur financier à temps partiel / temps partagé, ou ponctuellement en conseil.

En parallèle je me suis formé en PNL, hypnose, et coaching et j’accompagne des particuliers et des entreprises aussi sur ces sujets.

Comment se passe concrètement l’accompagnement d’une entreprise ? Vous apportez surtout une vision et un bon sens des affaires ou plutôt une expertise dans des domaines financiers, juridiques, économiques… ?

Un peu des deux. J’ai 25 ans d’expérience derrière moi, j’ai vu 6 sociétés de l’intérieur, toutes avec des développements très très rapides et des changements majeurs, j’ai participé à des acquisitions, des cessions. J’ai eu le triste privilège de travailler sur un plan social, j’ai fait des licenciements et des embauches, j’ai fait évoluer des collaborateurs (certains sont devenus directeur financier mais d’autres ont complètement changé de carrière). J’ai piloté du juridique, des services généraux, des développements informatiques… Le cumul de toutes ces expériences me donne un panel de compétences que je suis capable d’apporter sur un grand nombre de situations concrètes. L’expérience me permet de trouver la bonne direction, ou en tout cas d’en éviter pas mal de mauvaises, et aussi parfois de tirer la sonnette d’alarme. Au pire, je sais où trouver l’information qui me manque.

Mon intervention se limite très rarement au domaine de la direction financière.

La direction financière, c’est un superbe observatoire de l’intégralité de ce qui se passe dans une entreprise mais c’est aussi une porte ouverte pour aller faire autre chose.

Vous voyez les embauches, l’évolution des salaires, les indemnités de licenciement (s’il y a un problème de management, il y aura plein de départs par exemple). Vous allez voir les stocks évoluer, les achats, la santé de l’entreprise, si elle fait plutôt du volume, si elle est internationale.  Vous voyez les dépenses de R&D, les dépôts de brevet. Vous voyez tout ce qui se passe au sein de l’entreprise et vous pouvez l’analyser et anticiper ce qui va se passer grâce à ce tableau. Si vous vous arrêtez seulement à sortir des chiffres, c’est limité.

Il y a beaucoup de gens en direction financière qui restent enfermés dans la tour d’ivoire.

On envoie de jolis reportings, on fait remplir des tableaux de chiffres, on les récupère et on les présente ou on les envoie au management qui va (idéalement) les lire. Mais ça ne doit pas se résumer à ça. L’information sans action n’a pas forcément un grand intérêt et n’apporte pas grand-chose. Quel plan d’action préconiser dans le contexte étudié, quelles en seraient les conséquences ? C’est le genre de questions qu’il faut se poser.

La finance, c’est transformer des chiffres en une vision d’une part et d’autre part transformer une vision en chiffre. D’un côté, je prends mes comptes annuels et je les transcris en une présentation, une vision de l’entreprise et de sa santé. De l’autre côté, je prends la vision d’un chef d’entreprise et j’en fait un BP.

*BP (business plan) : bilan, compte de résultat, cash-flow prévisionnel la plupart du temps sous forme de tableaux Excel accompagnant un plan d’action.

Quand je faisais du contrôle de gestion, je descendais à la compta pour comprendre comment ils passaient des écritures. Ils n’avaient pas l’habitude de voir un contrôleur qui discutait avec les comptables. Je suis allé à la DRH, à la direction juridique, dans les opérations, à la DSI… comprendre ce qu’ils faisaient pour mieux faire mon travail.

Si on ne comprend pas bien les interactions entre les métiers et le rôle et les impacts de chacun, on ne peut pas bien faire ce travail.

Quelle est la durée de l’accompagnement d’une entreprise ?

Je n’ai pas vocation à m’inscrire sur une mission « systématique ». Jusqu’ici mes clients se sont inscrits dans la durée parce que leur évolution a amené une évolution dans la mission elle-même. Mes clients ont tendance à m’en donner plutôt un peu plus à faire qu’un peu moins. Mais il n’y a pas de contrat type, certaines missions sont plus ponctuelles.

Quelle a été l’entreprise que vous avez accompagnée dont la progression vous rend le plus fier ?

C’est compliqué parce que je suis hyper fier de tout ce que j’ai fait dans les boîtes dans lesquelles je suis passé. J’ai toujours eu l’opportunité d’avoir des jobs super intéressants même si très prenants.

Atos, c’était fantastique. C’était 8 ans de développement fabuleux avec des gens aux commandes relativement jeunes.

Plus récemment, ce sont plutôt des startups. Il y a entre autres Cycloponics qui fait de la culture de champignons et d’endives dans les parkings de grandes villes. Les parkings urbains sont en train de fermer parce qu’il y a de moins en moins de voitures en ville et trop de parkings ont été construits. Dans le quartier des Halles de Paris, il y a un parking qui a été livré neuf il y a 5 ans qui n’ouvrira jamais. Car son ouverture entraînerait une chute de fréquentation du parking d’à côté. Cycloponics réhabilite ces espaces urbains inutilisés et y développe notamment de l’agriculture urbaine.

Sur un registre différent, il y a LITA qui permet aux particuliers d’investir dans des startups qui ont un impact concret (social, écologique…). Les montants d’investissement peuvent être très faibles pour un particulier mais au global c’est plus de 25 ME qui vont être levés cette année pour accompagner ces entreprises qui ont toutes un impact concret sur des thématiques essentielles.

Avoir un réseau important est un élément phare du métier de Business Angel, comment avez-vous constitué le vôtre ?

Je n’ai pas vraiment utilisé mon réseau. J’ai trouvé tous mes jobs sans réseau. Le réseau s’est constitué de lui-même lorsque j’ai commencé à travailler. Aujourd’hui les sociétés dans lesquelles je travaille, c’est un ensemble qui s’est créé au fur et à mesure de rencontres et d’opportunités, chaque fil ayant permis de tirer le suivant.

Vous côtoyez de nombreux entrepreneurs, quel est le principal critère de décision pour investir chez eux ? Qu’est ce qui fait un bon entrepreneur selon vous ?

C’est plutôt une question d’entrepreneurs que d’entreprises : si on ne croit pas en l’homme qui porte le projet, on ne peut pas croire à son business model. La force de conviction, la résilience, la capacité à se remettre en question sont des qualités notables. Elles sont parfois contradictoires, il faut savoir utiliser cette contradiction, lui donner un équilibre.

J’investis surtout dans des entreprises dans le domaine de l’impact.

Je pars d’un principe : si j’investis de l’argent dans une boîte, je le considère comme perdu.

Les statistiques sont contre nous : une très grande partie des startups vont déposer le bilan. Quelqu’un qui investit va forcément se planter un certain nombre de fois. Et s’il est bon, et qu’il a de la chance, il va compenser ses pertes grâce à de belles performances par ailleurs.

Avez-vous déjà été frustré de ne pas pouvoir investir dans un projet qui pourtant vous tenait à cœur pour des raisons financières ?

Oui : deux fois. Dans les deux cas c’est un fonds d’investissement qui a pris l’intégralité du tour de table.

Il faut se poser cette question : qu’est ce qui est le plus intéressant pour une société cherchant du financement ? Elle cherche de l’argent mais aussi potentiellement des compétences, du réseau, du marché, de la notoriété… Les fonds d’investissement peuvent faire en sorte que les différentes entreprises qu’ils gèrent se connectent. Et moins il y a d’actionnaires, plus c’est facile à gérer, ça fait gagner du temps. Mais moins il y a d’actionnaire plus ils ont de pouvoir d’un certain côté. De plus, souvent chaque actionnaire peut apporter des compétences particulières (marketing, financière…).

Mon sentiment c’est qu’il y a énormément d’acteurs sur le marché qui vendent une promesse de valeur qui va au-delà de l’apport financier. Mais que dans la réalité ils sont surtout présents pour demander des comptes concernant le reporting et pour récolter un TRI (le taux de rentabilité).

A qui conseilleriez-vous le métier de “Business Angel” ? A quel type de profils ce métier convient le mieux ?

Je ne suis pas complètement sûr que cela se qualifie comme « métier ». Cela nécessite du financement et des compétences diverses. Ce n’est pas quelque chose qu’on peut  faire en début de carrière si on en peut pas apporter de « valeur ». Il faut avoir vraiment beaucoup d’argent pour que ça devienne une activité à temps plein.

De plus, il faut être prêt à ce que les gens ne vous écoutent pas. C’est comme avec des amis qui vous demandent votre avis mais ne font jamais ce que vous avez dit.

Votre avis sur les métiers de la finance (audit, contrôle de gestion, direction financière, conseil…)

Pouvez-vous nous en dire plus sur le contrôle de gestion ?

Il y a plein de contrôles de gestion différents en fonction de la nature de l’entreprise. Mais si un contrôleur de gestion n’est pas sur le terrain, je ne comprends pas ce qu’il fait.

C’est un métier d’écoute, il faut être attentif aux conséquences : s’il y a plus de chiffre d’affaires, d’où cela vient-il ? Est-ce ponctuel ou récurrent ? A-t-on assez dans le carnet de commande ? Est-ce le fait d’un gros client ou de plein de clients ? Est ce qu’il faut qu’on embauche ? Qu’on négocie des contrats d’achats de matière première ? Est-ce qu’il faut structurer des chaînes d’approvisionnement ? Est ce qu’on a assez de locaux ?

Très souvent j’ai vu des contrôleurs qui n’allaient pas suffisamment en profondeur et qui n’arrivaient plus à répondre quand je creusais. Dans ce cas je leur dis de repartir pour trouver les réponses.

Ce n’est pas un métier de chiffres le contrôle de gestion, c’est un métier de détective privé, que ce soit sur les causes ou les conséquences.

Je peux vous montrer deux fois le même bilan, et dans un cas argumenter pour dire que l’activité va bien, dans l’autre qu’elle va très mal. Et cela revient toujours à une question humaine à la fin.

L’audit est-il un métier efficace selon vous ?

Quand vous passez 52 semaines dans une entreprise à préparer les comptes et que les auditeurs arrivent et n’ont qu’une semaine pour analyser la situation, il est évident que si vous voulez leur cacher des éléments, vous le pourrez. C’est pour cela qu’il y a régulièrement des entreprises dans lesquelles il y a des malversations malgré la certification des comptes. C’est pour ça qu’à la fin de leur mission les commissaires aux comptes vous font signer une lettre d’affirmation qui dit que vous vous engagez à leur avoir révélé la vérité, à ne pas avoir menti ou caché des choses. Cela montre bien qu’ils ne sont pas à l’aise à ce sujet.

Le métier d’auditeur est complexe, c’est une voie royale mais cela reste un métier de « spectateur » de mon point de vue.

Il constate les dysfonctionnements dans les process de comptabilité, dans les écritures. Mais il n’a pas vocation à les corriger et à interagir.

C’est la même chose pour le métier de conseil. Même si ce n’est pas systématiquement vrai, souvent il n’y a pas d’implémentation : on pose les recommandations sur la table et on s’en va.


La contrepartie du métier de consultant qui permet de découvrir un grand nombre d’entreprises et de business modèles c’est de ne pas pouvoir prendre part durablement et directement aux décisions de l’entreprise. Est-ce quelque chose qui vous manque parfois ?

En réalité, je participe encore puisque je suis dans les comités de direction (boards) même en étant consultant. Je reste en contact avec le terrain, je crée des fichiers de reporting, je clôture des comptes, je fais passer des écritures. Je suis directeur financier, même externalisé, et je reste donc impliqué concrètement dans la vie de l’entreprise, ses décisions, sa stratégie.

Et l’ESCP dans tout ça ?

En quoi votre passage à l’ESCP s’est-il révélé utile dans ce parcours ? 

25 ans après j’ai beaucoup désappris et réappris. Au début, l’ESCP nous donne des fondamentaux, une culture générale pour notre première arrivée dans une entreprise. Elle donne accès à un réseau d’ancien, d’amis. J’ai des amis en audit, en RH, en conseil, etc. Quand j’ai une question sur un sujet que je ne maîtrise pas, je passe un coup de fil à un copain soit qui aura la réponse soit qui saura où la trouver.

Quel conseil donneriez-vous aux étudiants actuels de l’ESCP pour préparer leur entrée dans le monde du travail ?

Quelle que soit votre fonction, profitez de l’opportunité d’être en entreprise pour en voir tous les services, chercher des infos, vous ouvrir à tous les sujets qui passent autour de vous. C’est ce qui me permet aujourd’hui de pouvoir parler avec n’importe qui dans une entreprise en ayant une idée de ce qu’il fait et de savoir où chercher quand j’ai besoin d’une info.

Dans la génération de mes parents on rentrait dans une société avec un métier et on avait une carrière et on voyait où ça nous menait.  Dans la mienne c’était déjà nettement moins vrai. Aujourd’hui, il faut garder en tête que pour vous (et encore un peu pour nous) ce ne sera pas le cas : on va forcément changer d’entreprise, avoir plusieurs carrières et métiers, d’où l’importance de garder cette ouverture et cette flexibilité.

Cette interview vous est proposée par Antonin Carbiener et Eugénie Viriot, membres de Streams.

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