Stonewall Inn, une révolution au XXe siècle
Le XXème siècle a bien évidemment été un siècle de révolutions sociales et sociétales aux Etats-Unis et plus largement dans le monde : les droits civiques, la deuxième vague du féminisme, la contre-culture, etc. mais l’une d’elles est plus méconnue, silencieuse alors que pourtant, les évènements qui se déroulèrent au Stonewall Inn furent violents, éclatants, exaltants.
Nous sommes le 28 juin 1969, il est 1h32 au Stonewall Inn, un des très rares bars new-yorkais qui acceptent la communauté LGBTQIA+, celui-ci accueille les personnes les plus marginalisées de la société : des personnes transgenres, travesties, des hommes trop efféminés, des SDF de la Communauté. Cela fait une bonne dizaine d’années déjà que les propriétaires, membres de la mafia, s’octroient le droit de recevoir des personnes LGBTQ+ bien que le bar n’ait aucune licence légale. Les raids policiers étaient donc fréquents mais ce soir-là, l’énergie qui circule n’est pas la même, l’air est comme électrifié, les corps sont tendus, les mâchoires se crispent, les poings se ferment. Comme à leur habitude, les policiers arrêtent en priorité les personnes les plus « queers », c’est-à-dire les transgenres, les androgynes, les hommes efféminés, les femmes masculines, etc. C’est la lutte de Stormé DeLarverie, lesbienne butch* métisse habituée du bar, avec un policier habillé en civil et ses paroles : « Mais pourquoi vous ne faites rien ? » lancées désespérément à la foule qui font tout basculer. Elle envoie le premier coup de poing, la machine est partie, il n’y a plus aucun moyen de l’arrêter. Sylvia Rivera, une prostituée transgenre, jette la première bouteille sur les forces de l’ordre, enfin plutôt d’un ordre, un ordre injuste, discriminatoire, meurtrier. La Communauté toujours entravée se révolte, enfin. On attrape la première pierre au sol pour se défendre, voire même braver de rage les officiers, on leur a trop souvent volé leurs droits, leur dignité, leur humanité ; cela prend fin cette nuit. Les policiers se réfugient à l’intérieur du bar en attaquant le chanteur du club. La foule s’épaissit heure après heure, les fêtards des bars adjacents se joignent à cette lutte historique. Les agents du NYPD affluent de même. C’est plus de deux milliers de manifestants qui font face à près de quatre cents policiers dans une danse bousculée et infernale ; briques, bouteilles, bois enflammés, matraques, poings et jets de sang volent au premier plan de cette première nuit de révolution. Même les gilets noirs de la Tactical Patrol Force sont impuissants, ils reculent, se bousculent entre eux. Le pionnier Craig Rodwell, qui a créé la première librairie d’auteurs gays du monde, prévient des journalistes, des photos sont prises, des stylos courent sur le papier et une vulgaire altercation entre un policier et une lesbienne devient une insurrection sur cinq nuits qui marque le début de la lutte pour les droits des personnes de la communauté LGBTQIA+. Dès leur retour à leur appartement, Fred Sargeant et Craig Rodwell font des tracts par milliers pour appeler à la poursuite des manifestations le lendemain même. Les manifestants répondent de même par milliers, ils sont gays ou non, membres de la Communauté LGBTQ+ ou non.
Les émeutes de Stonewall prennent fin début Juillet, mais Brenda Howard et Craig Rodwell ne sont pas prêts à oublier cette révolution, ces nuits historiques où leur minorité a su se lever et s’élever face à des lois discriminatoires et une société bourreau. Ils fondent ainsi le Gay Liberation Front qui très vite prend de l’ampleur grâce aux retombées médiatiques des manifestations du Stonewall Inn. Cette association est pionnière : pour la première fois, les militants ne souhaitent pas se déguiser pour ressembler à la « norme », ils s’assument comme ils sont, « queers » tout simplement, et veulent qu’on les respecte, qu’on leur rende leur dignité. Leurs premières missions : manifester et s’assumer. Rapidement, le GLF organise des soirées dansantes à plusieurs centaines de personnes, sans l’épée de Damoclès mafieuse au-dessus de leur tête.
Un an est déjà passé depuis les émeutes et, bien que la Communauté LGBTQ+ new-yorkaise se soit soudée, peu de choses ont changé ; Brenda Howard prend alors la décision d’organiser la Christopher Street Liberation Parade le 28 Juin 1970, pour l’anniversaire de la révolution Stonewall. Des milliers de personnes queers s’élancent vers Central Park, des pancartes au bout de leurs bras tendus, des drapeaux arc-en-ciel flottant au vent, des chansons scandées avec audace et des pas de danses exécutés avec joie. Voilà, sur les restes du sang et des cendres du Stonewall Inn, ces pionniers et pionnières élèvent la première marche des fiertés de l’histoire.
*une personne de sexe féminin très caracterisée par son apparence et son attitude masculine, ce mot est parfois revendiqué avec fierté par des personnes de la communauté LGBTQIA+.
Cet article vous est proposé par Nolwenn Magdelaine, membre d’Escape.