HEC met à mort l’invincibilité du CF
par Clément Reuland
14/01/2016, 2e phase des poules qualificatives pour le championnat de France, 2e journée
HEC 3-0 ESCP
Un silence transi glaçait le vestiaire où nous étions pourtant allés chercher un peu de chaleur, à l’abri de la grêle qui battait les flancs du château d’eau de Jouy. La tête basse, les regards vissés sur le bout de nos chaussures, personne n’avait envie de prononcer un mot, chacun se confinant dans la solitude de sa propre remise en question. Pas même le coach ne semblait vouloir prendre la parole, faisant les cent pas au milieu de nous ; et nous, immobiles, nous nous tenions debout adossés les uns à côté des autres contre les murs blancs de la salle exiguë, comme arcboutés contre les parois pour tenter de résister à notre propre chute. Et pour cause : à l’issue de ces quarante-cinq premières minutes de jeu, le Club Foot venait de regagner les vestiaires en étant mené au score, une première cette saison. Sans doute ce silence m’était-il plus apparu plus long qu’à tout autre, à moi qui, contrairement aux autres, n’entendais pas le battement du sang contre les tempes et le souffle court de l’effort pour occuper le vide sonore de ce moment. Mais le sentiment de ne pas y être, de ne pas avoir pris le match par le bon bout, peut-être même de l’avoir déjà perdu, nous habitait tous.
Pourtant, le caractère inhabituel de cette situation ne suffisait pas à expliquer ce désarroi. Car après tout, le CF avait bien concédé l’ouverture du score face à l’Ieseg, une équipe techniquement plus douée que celle à laquelle nous faisions face cette après-midi ; cela ne l’avait pas empêché de le sanctionner à cinq reprises par la suite durant la rencontre. Le but d’HEC, que du reste nous avions nous-même inscrit, aurait d’ordinaire paru bien peu de choses à l’armada offensive du CF…
Quand tout foire…
Non, si nos visages semblaient si égarés, ce n’était pas seulement en raison du score défavorable, mais aussi et surtout parce que rien ne s’était déroulé comme prévu cette après-midi. Depuis cette entrée dans ces vestiaires qui n’en avaient que le nom – en réalité une cuisine où un Chinois se faisait une graille dans un coin à l’heure de Pékin – jusqu’à cet autogoal bien claqué sous la barre d’Alex, tout avait foiré.
Pas un décalage, pas de jeu court, pas de construction, pas de précision dans les passes, pas de débordement, pas de pressing, pas de sérénité, et à l’arrivée, pas d’occasion. Comme le dirent Coach Nico et Captain Gagneux à la mi-temps, finissant par briser le silence, il n’y avait vraiment rien à retenir du contenu de ces quarante-cinq minutes de jeu.
Pourtant, ce n’était pas les encouragements de notre kop de supporters – et de supportrices, dont le live-tweet jovacien se permis de souligner les qualités ‘physiques’ –, ni les soutiens de nos fidèles anciens dispersés aux quatre coins du globe, qui manquaient ce jour-là. Les approximations techniques s’étaient multipliées durant ce premier acte, qui avait vu le CF se contenter d’envoyer de longs ballons, qui plus est avec la finesse d’un Bayal Sall des grands soirs, reniant son jeu habituel. Facilitant la tâche de son adversaire, la Celeste s’était inexplicablement abstenue de jouer dans la largeur du terrain, préférant abreuver sa ligne d’attaque de passes verticales que les défenseurs adverses avaient repoussées une à une sans sourciller. Difficile en même temps de mieux servir l’arrière-garde adverse qu’en passant par le jeu aérien, quand notre ligne d’attaque était composée de joueurs aussi grands (par la taille) que Donat’, Molter, Lars et Ben… Pire, le voisin honni nous faisait l’insulte de nous faire le coup du « bloc bas » (pas à nous sérieux…), leitmotiv tactique du CF l’an dernier : regroupée derrière, comme pour mieux attendre les vagues offensives que la réputation du CF laissait présager, HEC n’avait en fait jamais vu poindre le danger, si ce n’est sur les quelques incursions d’un Nico Jean pourtant à court de forme. Les contres des banlieusards avaient d’autant mieux surpris les Bleus ciels, voyant leurs adversaires trouver le cadre à huit reprises durant cette rencontre.
Une fois passé un court quart d’heure de timide ressaisissement, auquel HEC avait brutalement mis fin en doublant la mise sur coup-franc direct, le seconde mi-temps n’avait fait que confirmer cet état des lieux. Tentant à toute force de sauver l’honneur en découvrant sa défense, le CF avait même fini par encaisser un troisième but, conclu d’une belle demi-volée à la suite d’un débordement intelligemment amené depuis leur propre camp par le collectif jovacien. 3-0, la messe était dite : il ne nous restait plus qu’à espérer que notre éternel rival veuille bien nous faire la grâce de ne pas encore alourdir la marque, afin de ne pas nous plomber davantage que la semaine à venir, et que je n’aie pas à ressortir des poches mes doigts congelés pour ajouter un nouveau but à ce live-tweet de mort.
1 point et salut
Alors, pourquoi une telle déroute ? HEC n’est pas l’adversaire le plus fort du point de vue technique que nous ayons rencontré cette année, et de loin : Centrale ou Dauphine étaient un bon cran au-dessus de cette formation ; et pourtant le CF avait maîtrisé ces deux équipes. Mais HEC a opposé aux Bleus ciels un collectif bien organisé, discipliné même.
De l’autre côté, la fin du semestre a vu le CF laisser partir certains de ces cadres, à commencer par son meilleur buteur, Flavien « sept buts par semaine » Richardin, et l’un de ses titulaires indiscutables en charnière centrale, Luc Lepage, qui avait su cultiver avec talent tout au long de la première partie de la saison sa ressemblance de mec déglingos avec Roderic Filippi.
Mais surtout, nous avons pendant ce match tout de suite perdu pied : dès les premiers parpaings mal contrôlés, les premiers tubes mal ajustés, les premiers picotements aux pieds, un doute s’est instillé en chacun de nous, d’emblée amplifié par le contexte émotionnel si particulier que représente le derby. Peut-être nous sommes-nous mis trop de pression, en rappelant si souvent les enjeux sportifs et extra-sportifs de ce match face à l’école la plus arrogante de France. Mais c’était une telle attitude qui nous avait permis de l’emporter cinq fois contre ce même adversaire l’an passé, nous incitant à chaque fois à aborder ces cinq rencontres avec la même hargne. Quoi qu’il en soit, le CF a rapidement plongé mentalement, laissant à HEC le loisir de l’emporter sans démontrer beaucoup de talent, mais avec autorité. Car sans les performances de son vaillant capitaine Gagneux – qui a cherché envers et contre tout à faire valoir son surnom de « La Gagne », se surprenant même en fin de rencontre à déborder côté gauche – et de son gardien de but Aleeeeex Douillet, auteur d’un quasi sans faute, le CF aurait pu prendre une marée digne des soirs d’équinoxe au Mont Saint-Michel.
Triste jubilé pour la mobylette supersonique Ben Blandin, triste début pour l’ex-live tweeter fou Joris Largeron.
« Pour le Club Foot hip hip hip ! »
Dès lors, le Club Foot s’efforcera d’aller de l’avant, en essayant de se convaincre qu’il ne s’agit là que d’une défaite somme toute anecdotique dans le cours de sa saison – contexte émotionnel de rivalité mis à part –, où il n’a chuté qu’à la suite d’un CSC, un coup-franc direct et un contre de fin de match, soit trois buts évitables en abordant mieux la rencontre. Dominés de la tête et des épaules par les Banlieusards durant ce match, on ne peut douter que cette claque sera d’autant plus lourde d’enseignements qu’elle est d’ores et déjà mémorable.
Car si elle met logiquement fin à la série de 9 matches sans défaite (7 victoires et 2 nuls toutes compétitions confondues) que le CF avait initié depuis le début de la saison, cette désillusion met le doigt sur la nécessité d’effectuer les ajustements nécessaires en ce début de semestre, afin que la machine ne se grippe pas. C’est donc l’occasion d’un nouveau départ, peut-être même d’un nouveau cycle, comme Pascal Praud et autres intellectuels du ballon rond aimaient à le dire tous les deux jours du Barça post-Guardiola. L’esprit qu’il a construit permet dès à présent de dire que le CF relèvera le défi ; car nul doute qu’il a les arguments pour se ressaisir et reprendre la marche en avant qui le caractérise, cette marche qui le voit rouler sur ces victimes désignées au doux son du « Pomodoro ».