« Scientia potestas est »

Par Alexandre Glaser

Les Meditationes Sacrae de Bacon (1597) ont consacré la formule : « scientia potestas est » . Si Bacon entendait par là que la connaissance est en elle-même source de pouvoir au niveau individuel en tant qu’elle rend possible l’amélioration de soi, la formule a pris avec le temps un sens nouveau, alors que l’on reconnut progressivement qu’au niveau collectif plus l’on sait plus notre champ d’action est vaste. Ainsi comprend-t-on aisément combien dans la sphère politique l’information (sur les électeurs, sur les concurrents, sur le contexte socio-économique ) opère comme une clef de voûte : en manquer c’est condamner tout espoir de carrière politique, de campagne électorale fructueuse et à terme d’avenir politique. La conférence Tribunes, une fois n’est pas coutume, a abordé l’une des thématiques les plus centrales constituant le nouveau paysage politique, économique et social.

La problématique « la politique est-elle une science exacte ? » s’est articulée autour de la question cruciale de l’utilisation du Big Data en politique. Les deux intervenants Jacques Priol et Guillaume Liegey ont su non seulement (et ce, sous l’impulsion des judicieuses questions des interviewers- coucou Kilian- , et après un portrait bien réussi) sensibiliser l’auditoire à la redéfinition du « faire campagne » opérée par l’utilisation des données du Big Data mais plus encore donner un aperçu de ce à quoi l’on pouvait s’attendre dans les années à venir en matière de campagne électorale d’analyse de données, d’actions institutionnelles régulatrices (la CNIL) etc.

Nous avons tous un vague aperçu de la révolution numérique que nous vivons : les données sont plus accessibles que jamais, la connectivité entre usagers plus rapide encore, les moyens de communiquer et d’échanger plus variés. Nous le savons, car nous sommes nés dedans, car nous avons vécu cette mutation digitale de l’intérieur, de manière immédiate, sans aucune réflexivité peut-être sur les conséquences que cela pouvait occasionner, non pas en termes personnel et existentiel mais en termes de politiques publiques, de décisions étatiques, et d’habitudes électorales. La grande force de la conférence est d’avoir su interroger la question du Big Data sans dresser un portrait apocalyptique de l’avenir qui nous attend, tout en abordant avec un certain esprit critique cette question même. L’utilisation souterraine du Big Data, celle-là qui précisément nous fait entrer dans une politique post-vérité, quelle place laisse-t-elle à la protection et à l’information du citoyen ? Comment redéfinit-elle le paysage médiatique international ? Et plus largement, dans quelle mesure les algorithmes qu’utilisent les data analysts au service des acteurs publics et parapublics servent-ils les candidats ? quelle est leur marge de manœuvre ? En bref, que faut-il attendre pour la campagne de 2017 en termes d’utilisation des données ?

A toutes ces questions, Jacques Priol et Guillaume Liegey n’avaient pas de réponses tranchées mais des perspectives quant à ce qui saurait se passer : la réponse doit être médiatique, le big data aura un impact non négligeable dans la manière dont se structureront les campagnes. On ne vote pas pour programme, on vote pour des valeurs et un homme.

Cette conférence Tribune n’a malheureusement pas reçu l’attention qu’elle méritait : l’on y a plus appris sur le monde de demain en une heure trente qu’en deux ans d’études à l’ESCP.

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