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30 avril 2020

Qui payera ?

Qui payera ?

Depuis quelques jours les milliards pleuvent. Envolés les problèmes de déficit public, la sacro-sainte règle maastrichtienne des 3%, l’équilibre budgétaire. Tout ça c’était le monde d’avant. La santé, et la sauvegarde des entreprises passent avant tout. Aux Etats-Unis, en Europe, en Chine les plans de relance pour éviter l’effondrement de pans entiers de l’économie se multiplient. En France, alors même que nous ne sommes qu’au début de la crise, on estime que le recul de l’activité combiné aux mesures exceptionnelles annoncées par le gouvernement pourrait faire bondir le déficit de 99% à 115% du PIB. La question que vous vous posez peut-être est qui payera ? Qui payera le plan du gouvernement à 100 milliards, qui payera la relance européenne à 1000 milliards ? Vous avez pu (ou non) constater la hausse massive des impôts intervenue après 2008. Doit-on s’attendre à une hausse au carré une fois le plus dur (et les élections) passés ?

Les dettes qui sont en train d’être accumulés sont impayables

            Le montant des dettes accumulées est tellement colossal qu’il est fort probable qu’elles ne soient jamais remboursées. Bien sûr cela dépend en partie des pays, pour l’Allemagne ou les Pays-Bas il n’y a pas beaucoup d’inquiétudes à avoir. Mais qu’en est-il pour des pays plus fragiles et qui ne sont pas parvenus à se désendetter significativement depuis 2008 ? Ce sont la Grèce, l’Italie, l’Espagne et même la France. Pour rembourser cette dette, il n’y a globalement que trois leviers conventionnels pour un Etat : la croissance économique, l’augmentation des impôts et la baisse des dépenses. La première solution est exclue, peuples vieillissants, productivité stationnaire, la croissance est grippée et aucun élément ne pourrait vraisemblablement la ranimer dans les prochaines années. La solution de l’austérité est possible mais paraît hautement déraisonnable. Outre que cela grèverait une partie de la croissance (et donc annulerait l’effet souhaité), l’effet social serait dévastateur. La crise des gilets jaunes a été le marqueur d’un trop d’impôt en France, et le signe d’une véritable gronde sociale latente. Par ailleurs, la crise sanitaire a rappelé l’impérieuse nécessité d’investir dans les systèmes de santé et de protection. En Italie, en Espagne ou en Grèce austérité et paupérisation ont laissé des traces profondes et des ressentiments tenaces. D’autant que tout cela aurait été en fin de compte … pour rien. Dans nos démocraties déjà fragilisées, toute nouvelle cure d’austérité agirait comme une bombe sociale à même de menacer gravement nos systèmes politiques voire à même de faire exploser nos démocraties.

Et pourquoi ne pas faire payer les riches ?

Pourquoi tout simplement ne pas faire payer les riches, les millionnaires, les milliardaires ? ceux qui se sont considérablement enrichis avec la mondialisation. Un impôt exceptionnel de solidarité serait parfaitement légitime et aurait le double avantage de se parer de justice sociale. Ce refrain on l’entend souvent ces derniers temps et au fond, comparativement à l’austérité, il s’agit d’une solution plus raisonnable. Le problème est que la plupart du temps faire payer les riches ne paie pas, ou peu. Le symbolique impôt sur la fortune supprimé par Macron ne rapportait que le montant dérisoire de 4 milliards d’euros. Pour compenser l’envolée du déficit il faudrait donc créer 44 ISF. Le seul moyen efficace reviendrait à se saisir directement d’une partie de leur fortune, à prendre un certain % directement sur leurs épargnes et leurs biens. Or en France comme dans d’autres démocraties, les impôts confiscatoires sont interdits par la constitution. Par ailleurs, une telle mesure confiscatoire nécessiterait la mise en place d’un contrôle des changes pour empêcher une fuite des capitaux. A cela s’ajoute le fait que les riches sont aussi rattrapés à leur manière par la crise, Bernard Arnault aurait perdu au moins 10 milliards d’euros depuis le début de la crise.

Ne pas rembourser ?

            On entend beaucoup ces derniers temps que nous ne sommes pas responsables de la dette, rien ne nous engage à la rembourser. Les créanciers n’ont qu’à bien se tenir. En paraphrasant Staline « Les créanciers, combien d’armées » ? On oublie souvent que se ne sont pas que les grandes fortunes qui détiennent les obligations d’Etat. Par exemple, les assurances et les banques détiennent environ 30% de la dette française, et à travers elles c’est vous. Plus précisément, il s’agit des assurances-vie et des épargnes retraites. Ne pas rembourser revient donc à euthanasier une partie des épargnants. A supprimer toute ou partie de la retraite de milliers de personnes. Toute dette n’est jamais que l’épargne de quelqu’un d’autre, ne pas payer – faire défaut – c’est donc faire payer l’autre : ruiner l’épargnant. Cette hypothèse a d’ores et déjà été exclue par le gouvernement.

La solution par défaut

            Paradoxalement, aujourd’hui alors que l’ampleur de la crise se précise un peu plus chaque jour, les Etats européens ne rencontrent aucun problème pour lever des fonds et emprunter. Plus encore, les Etats empruntent à des taux d’intérêt très faibles. Cela est la résultante d’une politique volontariste de la banque centrale européenne qui a tranquillisé les marchés en annonçant un plan d’action à coup de centaines de milliards. En achetant massivement la dette des pays européens sur les marchés secondaires, la BCE a apporté une garantie aux investisseurs, et stabilisé les taux d’intérêt. La BCE s’est d’ailleurs autorisée à posséder jusqu’à 33% de la dette d’un pays européen. De fait, les Etats européens ne souffrent d’aucun manque de liquidité (cash pour faire face aux échéances), c’est davantage leur soutenabilité (capacité d’un Etat à contenir sa dette) qui est interrogée dans les prochaines années et donc leur solvabilité (capacité d’un Etat à ne pas faire défaut) à moyen-long terme.

Or, en montant en puissance dans la dette des Etats, et pour ne pas alourdir les échéances des Etats, il est probable que la BCE neutralise ses créances, c’est-à-dire que leur maturité soit étendue sur une très longue durée, et cela avec des taux d’intérêt proche de 0. Autrement dit, en étalant massivement la période de remboursement d’une dette la pression sur les Etats devient minime. Et comme on le sait à votre différence (oui oui vous devrez rembourser votre prêt étudiant) un Etat a le bon goût d’être possiblement immortel. La dette devient en quelque sorte perpétuelle.

Le tabou de la planche à billet

            Vous l’aurez compris sans austérité ni augmentation des impôts, sans probable forte croissance dans les prochaines années, et sans problèmes de liquidités la dette des Etats devient perpétuelle. Or, il y aurait une solution – et le débat fait rage chez les économistes – il s’agit de la planche à billet et de l’inflation. Qu’est-ce que l’argent ? C’est un bout de papier (ou une valeur numérique) auquel on attribue de la valeur comme intermédiaire d’échange. Et bien nous n’avons qu’à faire tourner la fameuse planche à billet, c’est-à-dire imprimer, créer autant d’argent et de billets que nécessaire. Aussi surprenant que cela paraisse c’est aussi simple que ça.

Et c’est ce que l’on fait actuellement de façon insidieuse ; mais cela pourrait être fait de façon beaucoup plus massive. La banque centrale européenne créerait massivement des liquidités, plusieurs centaines de milliards ex nihilo, et financerait directement les Etats et surtout ferait repartir l’inflation grâce au fameux hélicoptère monnaie (scénario où de l’argent serait directement crédité sur votre compte). Non ce n’est pas de la science-fiction mais bien une hypothèse très sérieuse débattue et qui constitue un recours en cas d’aggravation de la situation.  

D’aucuns questionneront la valeur du travail, « chaque écu doit se suer » disait effectivement le père Grandet ; ces arguties techniques sont immorales et contre les principes économiques fondamentaux. Ils n’auraient pas tout à fait tort, attention à trop faire marcher la planche à billets, le risque est d’affaiblir la valeur que nous attribuons à la monnaie et de perdre totalement le contrôle de l’inflation. Refusant catégoriquement ce saut dans l’inconnu (la BCE), la dette des Etats est bien partie pour être reléguée de générations en générations à moins qu’un événement imprévue ne précipite un nouveau scénario catastrophe.

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