A la rencontre de Shaka

par deux fondateurs de Streams

 

Streams déniche pour vous des talents, confirmés ou débutants ; artistes, hommes ou femmes d’affaires, cuisiniers, philosophes ou éboueurs, peu importe, ils sont tous les bienvenus. Pour notre première édition, nous avons rencontré Thomas Capelle, A.K.A Shaka, jeune rappeur originaire de Pau.

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photo article Shaka

Au sein de son collectif « Nitrophonie », Shaka rappe depuis bientôt six ans. Si Streams est allé le chercher, c’est parce qu’il est probablement l’un des rappeurs les plus talentueux de sa génération. Et ce n’est pas rien à une époque où le rap s’est complètement démocratisé, où il est écouté et de plus en plus pratiqué dans toutes les classes sociales. Lyrics, flow, placements, instrumentals, tout y est dansCapture d’écran 2015-08-28 à 19.54.51 le rap de Shaka, si bien que lorsqu’on l’entend poser un texte, on ne peut que se dire qu’il ne lui manque plus que les contacts pour percer (et pourtant, il a déjà fait la première partie des concerts de Caballero, de Demi-Portion – deux références en matière de rap actuel – ou encore d’Eklips – le type qui a pondu les Skyzofrench rap -, avec son pote Dibi). Ce qui fait la différence de Thomas, c’est sa diction, sa technique et son souci d’allier le sens et la rime : quand vient son tour, le contraste est souvent saisissant, et s’il est parfois nécessaire d’écouter plusieurs fois ses phases pour comprendre toute la complexité de ses placements, on prend une claque dès la première écoute. Aujourd’hui, Shaka souhaite continuer à rapper avec ses potes dans son crew Nitrophonie, ou au sein du collectif pallois Under Dwellers, mais ça ne l’a pas empêché de concocter un EP en solo, qui va sortir prochainement en téléchargement libre sur internet. Sans plus tarder, petite interview de notre pourvoyeur de punchlines pallois.

Quelle est ton expérience jusqu’ici ?

J’ai fait pas mal de premières parties de concerts dans le sud, Demi-Portion, Eklips…J’ai aussi fait celle de Caballero à Montauban. Tous ces contacts je les ai eus grâce à Blunt, mon pote qui a un studio, dans lequel j’enregistre mes sons, et qui connaît pas mal de monde dans le milieu Hip-Hop. Jusqu’à maintenant j’ai toujours rappé en groupe, en particulier avec Dibi qui fait partie de Nitro F. Mais j’ai aussi commencé à rapper en solo.

En solo ?

Oui je viens d’enregistrer un EP solo, Sourire en Coin, qui sera bientôt balancé sur internet ; j’hésite encore en ce qui concerne le format, je sais pas si je vais le mettre sur Youtube, en téléchargement libre ou les deux. En tout cas tout ça sera pour novembre.

Est-ce qu’il y a un message que tu cherches à véhiculer via ton rap ?

Pas vraiment. Pour le moment j’essaie en premier lieu de montrer aux gens comment je rappe, ce que j’aime ; j’ai fait quelques morceaux un peu trap, d’autres plus chantés, d’autres plus à l’ancienne, c’est un peu de tout, un cocktail. Mais j’essaie d’allier au maximum la technique et le sens. Je véhicule pas de message à proprement parler mais j’aime pas rimer pour rimer. Il faut que mes textes aient du sens et j’essaie de multiplier les subtilités, les figures de styles, pour que le mélange soit le meilleur possible.

Comment écris-tu tes textes ? Est-ce que tu adaptes tes instrus à tes textes ? Ou est-ce que ce sont les prods qui t’inspirent ?

En général une instru qui claque va m’inspirer un texte. C’est elle qui vient en premier, et qui fait naitre le texte. C’est beaucoup plus difficile d’écrire un texte, puis de trouver une instru qui colle parfaitement avec l’atmosphère et les placements du texte. J’écris tous les jours, en général mieux le matin ou la nuit ; Je me pose pas forcement devant ma feuille pour gratter, ou sur mon téléphone ; ça me vient parfois dans la rue, je note des trucs et après j’essaie de remettre tout ça en forme. L’inspi vient de partout, tu vois des choses, ça t’inspire des paroles et tu les écris.

Et quels sont les rappeurs qui t’influencent ?

Nakk est le premier rappeur que j’ai écouté qui m’a fait kiffer la technique. J’ai Kiffé le rap français avant le rap US avec les trucs à l’ancienne, les X-Men etc. Mais c’est important de voir aussi ce qui se fait aux States, la diction est différente, c’est bien de s’imprégner de plein de choses différentes pour pouvoir progresser. Aujourd’hui j’apprécie énormément DF. Un mariage fou entre la technique et le sens.

Est ce que t’ambitionnes de percer ?

Oui mais c’est pas évident avec les cours etc. J’essaie d’alimenter ma comm’, j’aimerais que ça se propage, faire des petites tournées. Avec Nitrophonie on a fait des scènes solos à Pau, avec plusieurs groupes par soirées, c’est le seul cachet qu’on a eu d’ailleurs. On a aussi fait quelques petits festivals hip hop. Je vais voir comment mon EP se propage.

Est ce que t’écoutes d’autres genres de musique ?

Beaucoup de rap mais aussi un peu de techno, de jazz et de funk.

Voici un extrait des lyrics de « Point de rupture », un morceau qui va paraître sur l’EP Sourire en coin de Shaka. Si l’on décortique un peu le texte, on se rend assez facilement compte de la complexité des placements de ses rimes.

Rimes en a en a-a ou a-a-a, en i-u, en é-o, / : respiration

Réveil ghetto j’imagine pas ma face embouteillage dans les sinus j’prie mon cerveau de s’remettre à sa place, en titubant vers la glace, p’tit sursaut à la vue d’mon reflet / qui confirme mes craintes, stipulant une journée à la chiasse à gober des pilules / pour rétablir mon transit’ à l’amiable, un café dont j’bois la tasse en trois traits comme si j’étais en r’tard à la boite / pandiculation et rictus, l’ émergence est si dur j’reste cloitré à l’appart, j’ai même pas faim j’mange afin d’pas claquer par hasard / j’ouvre les volets aveuglé par ce rayon dans la figure commme si j’avais pas vu l’jour d’puis l’jour où j’ai saisi l’crayon et la page A4 / A demi rétabli j’enfile trois-quatre sapes j’descends palper l’air et m’dirige pas à pas vers l’rayon d’la biture

Shaka – Point de rupture  (Sourire en coin)

Shaka ne se contente pas de faire rimer la fin de deux phrases sur deux mesures. Ses textes sont des jeux de sonorités qui se répondent. Les rimes en A, en A-A et en A-A-A font toute la continuité des douze mesures ci-dessus, qui sont également parsemées de rimes en I-U ce qui accentue cette impression que les différentes mesures se lancent des échos. Ces rimes se retrouvent volontairement placées à des endroits différents d’une mesure sur l’autre afin de multiplier les changements de rythme, ce qui participe à la structuration complexe de ses textes : une sorte de désordre ordonné.

Par comparaison, voici un extrait d’un texte d’Hugo Boss, rappeur du collectif TSR, intulé « Fenêtre sur rue » et tiré de son premier album solo du même nom. Dans les premières mesures, Hugo nous raconte un réveil difficile comme le fait Shaka dans « Point de rupture », mais la structure de son texte est complètement différente. Alors que Shaka bâtie la structure de son texte sur 12 mesures, Hugo change de « rime phare » au bout de 4 mesures, passant de rimes en é-è à des rimes en a, é-a ou a-é-a.

Rimes en é-è ou è, en é-u

Rimes en a, é-a ou in-é-a ou é-é-a, en ek

Il est quinze heures, j’suis réveillé par le bruit d’la vaisselle, le réveil est sec, j’me frotte les yeux, putain j’ai v’la les cernes / La chambre a pas d’serrure mais c’est une cellule comme à Fresnes, j’regarde pas la télé moi j’ai mieux qu’ça, j’ai ma f’nêtre / Y’a c’gamin crade, il veut pas juste une clope mais l’intégral, c’est un détail, un d’ces gars toujours dans l’coin en train d’tté-gra / Il check les grands du tieks , ils sont toujours à cette terrasse eux ils vendent pas des Cds-d’rap, ke-cra, CC etcetera

Hugo Boss – Fenêtre sur rue (Fenêtre sur rue)

En fait, le style de Shaka se rapproche davantage d’un rappeur comme DF, qui accorde une importance primordiale à la technique et aux placements. On peut le voir dans son texte « Le temps d’une cigarette » tiré de son projet du même nom. Comme Shaka il structure son texte en une continuité de sonorités qui se répondent sur plusieurs mesures (ici 8).

Rimes en i-a-è, en i-a, en a ou i-é-a

Le temps d’une cigarette, j’ai arrêté d’fumer dix foix, croisé dix gentils gens qui te la mettent avec un genre d’histoire : style ils disent voir le paradis en cramant six barrettes, kiss ma raie : j’suis l’gars qui s’marrait en arrêtant d’y croire / Le temps d’rouler ta clope j’subis la saison hivernale et on m’accueille avec un « disparais » donc quitte à s’y faire mal j’lâche mes saloperies verbales / mes allégories herbales, apologie médicinale, vu qu’tes idoles ils disent pareil

DF – Le temps d’une cigarette (prod. DjCerk) (Le temps d’une cigarette)

Pas étonnant de constater cette similitude dans le style de ces deux rappeurs car Shaka reconnaît puiser son inspiration, notamment, chez DF, mais aussi chez L’Indis ou Nakk – ce que reconnaît également DF dans ce même son (« Encore en 2011 j’préfère entendre l’Indis et Nakk que les récits d’zonz’ émis par un con d’EMI qu’son contrat décimera ») ! -.

 

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